Pour le travail final du cours de vulgarisation, il fallait écrire un reportage destiné à un magazine (fictif), qui devait avoir un lien avec le coronavirus ou la pandémie.
J'ai décidé de parler des groupes survivalistes, qui ont connu un essor important durant la pandémie. C'est un sujet qui m'intriguait véritablement et j'étais excitée à l'idée d'infiltrer des groupes Facebook pour me documenter. J'ai découvert un phénomène fascinant et discuté avec des gens sympathiques et très ouverts à parler de leur style de vie.
C'est à travers ce texte que je me suis exercée à l'humanisation, une pratique importante dans l'écriture de textes de magazines. Humaniser, ça veut dire "donner la parole à des gens qui connaissent l’histoire de l’intérieur, qui sont à l’intérieur du problème, qui sont capables d’expliquer leur perception, la signification du problème, de la découverte, de la situation."
La préparation pour ce texte a été longue, je me suis promenée de longues heures sur les groupes Facebook afin de bien saisir le phénomène, puis j'ai échangé avec plusieurs personnes, par écrit ou au téléphone, avant de choisir les témoignages les plus pertinents pour mon article. C'était un long processus, mais j'ai eu beaucoup de plaisir à chaque étape de la rédaction de ce texte.
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17 décembre 2020
Pandémie : coup d'accélérateur chez les survivalistes
Photo tirée d'internet
“Des illuminés qui vivent dans une réalité parallèle.” “Des extrémistes qui espèrent une attaque de zombies.” “Des paranoïaques qui ont basculé dans la folie”. Les survivalistes sont souvent affublés de descriptifs peu flatteurs. Mais depuis la pandémie, ils sont plus nombreux, plus actifs et plus visibles que jamais. Comment la pandémie a mis le vent dans les voiles d’un mouvement jusqu’alors totalement marginal?
Qui sont les survivalistes?
Les survivalistes sont des gens qui se préparent à une catastrophe éventuelle, à un “bris de normalité”. Ils se qualifient de gens prévoyants, et apprennent diverses techniques de survie en forêt, s’exercent au maniement d’armes à feu et accumulent des denrées pour subvenir à leurs besoins le plus longtemps possible en cas de catastrophe grave.
Benoît*, survivaliste
Benoît est survivaliste depuis 10 ans. Ce père de 4 enfants possède l’équipement de base pour survivre - même en hiver - sans service public pour au moins 30 jours. Comme plusieurs survivalistes, Benoît habite dans un contexte de vie qui lui permet le maximum d’autosuffisance. “J’habite en campagne. On chauffe au bois et j’ai une rivière derrière la maison pour l’eau”. Benoît est un homme de famille. Selon lui, son choix de vie et toutes ses décisions ont pour objectif de protéger les siens. Il explique qu’il amène ses enfants avec lui pour faire des activités en nature depuis qu’ils sont tout petits. “Quand on va en forêt, c’est chacun son rôle! Un ramasse le bois, un monte le camp, et on maintient le feu pendant qu’un autre chasse ou pêche. J’ai aussi initié mes enfants très jeunes au tir d’armes à feu.” Alors que le virus inquiétait de plus en plus la population, Benoît a fait des réserves d’essence et a retiré beaucoup d’argent liquide. Puis à l’annonce de la fermeture des commerces, il est allé acheter des munitions. “Beaucoup de munitions”, renchérit-il. Benoît prend son rôle de protecteur de famille très au sérieux. “Mes armes me procurent beaucoup d’assurance. Je peux chasser petits et gros gibiers, et repousser ceux qui oseraient venir s’en prendre à ma famille et/ou à mes biens. L’homme dans le besoin est capable du pire, ajoute-t-il, donc il faut être prêt à tout.”
Augmentation massive
“Avec la pandémie, le nombre de membres a augmenté de 1000% en trois mois”, estime celui qui répond au pseudonyme de Claude Survivaliste, administrateur du groupe Facebook Survivaliste Canada. “Avant nous étions 400, maintenant nous sommes 4000”. L’augmentation est presque aussi spectaculaire du côté du groupe Survivaliste du Québec dont les membres sont passés de 600 à 5000 en quelques semaines. “On devait se mettre à 3 “admins” pour gérer les demandes d’adhésion, qui rentraient à coup de centaines par jour.”, explique Claude Survivaliste, qui administre également le groupe dédié aux survivalistes québécois.
Annie*, Néosurvivaliste (ou prepper)
Annie est prepper depuis 10 ans. Cette professionnelle dans la quarantaine décrit les survivalistes comme ceux qui se pratiquent énormément en forêt, et les preppers comme des gens qui se préparent en faisant d’importantes réserves. Les preppers tentent d’être aussi autosuffisants que possible, en cultivant un jardin, par exemple, et parfois même en élevant des animaux. Annie a vu les signes avant-coureur du confinement au moins trois semaines en avance. “Dès fin février, j’ai pris beaucoup d’argent et je me suis assurée qu’on avait du stock pour trois mois.” Puis elle est allée voir un épicier de son village, avec qui elle a établi des ententes de services. “Il devait m’avertir des hausses de prix, et aussi des bris d’approvisionnement, donc je pouvais acheter avant que le monde se rue sur les denrées.” La mère de famille affirme être passée du niveau intermédiaire au niveau avancé dans sa préparation. “Plus ça va et plus on va dans les détails dans l’acquisition de matériel” dit-elle. “J’ai acheté une pompe à eau et une pompe à gaz. J’ai envisagé le pire, car c’est documenté, quand les gens ont peur, tout se vide très rapidement.”
Bris de normalité
Bien que les façons de pratiquer ce mode de vie et les réactions de chacun diffèrent, tous ont un objectif commun : être prêts à affronter un bris de normalité. Comme l’expression l’indique, un bris de normalité est une situation dans laquelle la vie telle qu’on la connaît est bouleversée, et le système mis en place pour répondre aux problèmes communs ne suffit plus. Il faut alors avoir recours aux ressources qu’on aurait préparées, ou aux ressources de la nature, en cas extrême. L’éventail des bris de normalité auxquels les survivalistes se préparent est large : il peut s’agir d’un désastre naturel comme des inondations ou des feux de forêt, d’un chamboulement social tel un conflit armé, ou d’une catastrophe globale comme l’effondrement de notre civilisation. Une pandémie fait partie de ce type d’événements à très grande échelle qui s’oppose à toute normalité, et de surcroît, qui dépasse l’entendement.
Pourquoi cet engouement?
La psychologue Brigitte Whelan explique qu’au départ, la pandémie apportait énormément d’éléments inconnus, et que l’inconnu engendre inévitablement du stress. “Au début de la pandémie, personne ne connaissait ce virus. Les dirigeants ne pouvaient pas rassurer la population. Ils fournissaient une information partielle et incertaine, ce qui n’a fait qu’augmenter l’anxiété des gens.” Elle ajoute que le cerveau cherche toujours à agir sur l’incontrôlable, pour diminuer le sentiment d’impuissance. “Cela permet au système nerveux de se calmer et de comprendre qu’il n’y a pas de danger.” Selon elle, cet emballement soudain au sein des groupes survivalistes pourrait être attribuable au besoin d’agir et de trouver des solutions pour diminuer le stress induit par l’incertitude.
Les raisons derrière la volonté de tant de personnes à intégrer les rangs du mouvement survivaliste sont diverses : perte de confiance dans le système, besoin de contrôle, désir d’apprendre, envie de reconnecter avec la nature, etc. La pandémie a été déterminante dans le choix de plusieurs, et a donné un important coup d’accélérateur au mouvement survivaliste. Chez les vétérans comme Benoît et Annie, la pandémie a été perçue comme une occasion de peaufiner leurs plans, de mettre à jour leurs techniques, de s'acheter plus d’équipement. Nombreux sont ceux qui affirment que la pandémie a été “une excellente pratique” en vue d'un événement beaucoup plus grave. Certains ont aussi confié qu’ils étaient prêts depuis belle lurette, et que la pandémie n’avait strictement rien changé à leurs habitudes - si ce n’est que de regarder, à la télé, les gens se ruer sur du papier de toilette -, comme a répondu l’un d’eux, non sans une pointe de moquerie.
Tous concernés
Dave MacDonald ressent bien l’intérêt grandissant pour le survivalisme dans les nombreuses demandes qu’il reçoit des gens depuis le début de la pandémie. L’ancien technicien de recherche et sauvetage de l’Aviation royale canadienne dirige aujourd’hui l’International canadian school of survival, qui offre des cours de survie en forêt, d’orientation, de premiers soins en milieu sauvage et de sécurité des armes à feu. Il soutient que même si les cours d’orientation et de survie en forêt demeurent très populaires, les demandes les plus fréquentes concernent aujourd’hui la sécurité et l’usage des armes à feu. Selon lui, “les gens font plus de plein air, ils veulent chasser et avoir leur permis d’arme pour l’auto-défense, bien que, précise-t-il, ce soit illégal au Canada.” Il ajoute que les gens ont plus de temps, vont davantage en nature, sortent pour pratiquer leurs habiletés en forêt. D’ailleurs, poursuit-il, les missions de recherche explosent aux Etats-Unis parce que les gens se perdent en nature!” La survie et la sécurité en forêt sont au cœur des enseignements de Dave MacDonald, qui souhaiterait - et les survivalistes seront d’accord avec lui - que chaque Canadien ait cette formation, pour savoir répondre aux urgences et aux désastres naturels.”
*Prénoms fictifs pour protéger l’anonymat