dimanche 12 février 2023

Aide médicale à mourir : ma collaboration avec MÉMO-QC

J'ai eu la chance, dernièrement, d'écrire un texte pour Paraquad, la revue de MÉMO-Qc. Rappelons que MÉMO-Qc, est un organisme qui a pour mission de favoriser l’autonomie et d’améliorer la qualité de vie des personnes en situation de handicap physique, avec une attention particulière portée aux personnes qui ont une lésion à la moelle épinière. La parution hiver 2022 avait pour thème l'aide médicale à mourir, et on m'avait confié la tâche d'écrire sur l'histoire de la loi.

Pour ce faire, je me suis longuement renseignée, j'ai épluché de nombreux articles et textes de loi, et me suis entretenue avec le Dr Georges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, ainsi qu'avec Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en droit médical. 

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 Aide médicale à mourir : l’histoire de la loi

 

L’aide médicale à mourir a fait débat jusqu’à l’adoption de la loi au Québec en juin 2014 – mise en vigueur en décembre 2015 – et en 2016 dans le reste du Canada. Aujourd’hui encore, elle suscite beaucoup de questions. Qu’on soit pour ou contre, le droit à l’aide médicale à mourir fait son chemin dans notre société. Gros plan sur les moments et les personnes qui ont marqué l’histoire de l’aide médicale à mourir au Québec et au Canada.

 

« Si je ne peux consentir à ma propre mort, qui contrôle mon corps? Qui contrôle ma vie? » demandait Sue Rodriguez, cette femme atteinte d’une maladie incurable à qui on a refusé l’aide médicale à mourir en 1993. La question a beaucoup fait réfléchir dans les dernières décennies, si bien qu’il a fallu légiférer. Non seulement l’aide médicale à mourir est-elle devenue légale, mais les critères d'admissibilité se sont élargis et s’élargiront peut-être encore dans les années à venir.

 

Une compétence provinciale

Tout d’abord, il est important de comprendre que la santé est un champ de compétence provincial. Ainsi, chaque projet de loi est minutieusement étudié à l’intérieur de la province, passé en commission parlementaire, soumis à des consultations, des panels d’experts, des débats, des sondages, des votes, etc. Quand un projet de loi de ce type est discuté, la province doit être certaine que la loi proposée ne contrevient pas à des dispositions d’une loi fédérale, en particulier du Code criminel, qui relève du fédéral exclusivement.  Il est donc essentiel de s’assurer que les décisions prises par les provinces ne contreviennent pas au Code criminel, ce qui pourrait entraîner de graves conséquences pour les donneurs de soins.

 

Des personnes et des dates marquantes

 

Sue Rodriguez 

1993

CANADA – Refus de la Cour suprême

Sue Rodriguez, qui souffre de sclérose latérale amyotrophique, souhaite obtenir l’aide d’un médecin pour mettre fin à ses jours. Elle soutient que l’article du Code criminel qui interdit le suicide assisté est anticonstitutionnel. Le 30 septembre 1993, cinq juges de la Cour suprême du Canada contre quatre déclarent que l’article est constitutionnel et qu’il ne viole pas La Charte des droits et libertés. L’aide médicale à mourir est donc refusée à Sue Rodriguez. Cette dernière se suicide néanmoins avec l’aide d’un médecin dont on ne connaîtra jamais l’identité. 

 

La quête de Sue Rodriguez pour obtenir l’aide médicale à mourir n’a pas porté fruit pour la demanderesse, mais il a semé des graines pour le futur dans l’opinion publique.

 

Vingt ans plus tard…

 

2013

QUÉBEC - Le projet de loi 52 est déposé 

Le projet de loi 52, ou la loi sur les soins de fin de vie, est déposé par Véronique Hivon, ministre responsable du dossier Mourir dans la dignité. Ce projet vise à garantir aux personnes en fin de vie l’accès à des soins dignes et respectueux de leurs volontés.

 

Le projet de loi 52 est adopté le 5 juin 2014, puis entre en vigueur le 10 décembre 2015.

 


Kay Carter

 

6 février 2015 

CANADA - Arrêt Carter 

Kay Carter est atteinte d’une maladie dégénérative de la colonne lombaire qui lui inflige des souffrances qu’elle juge intolérables. Mme Carter réclame le droit d’obtenir l’aide d’un médecin pour mettre fin à ses jours. Les demandeurs dans l’affaire Carter contestent plusieurs articles du Code criminel qui interdisent d’avoir recours à l’aide d’un médecin pour mourir. Les juges de la Cour suprême du Canada déterminent, à l’unanimité, que l’interdiction de l'aide médicale à mourir, pour les personnes qui souffrent de maladies graves, va à l’encontre de La Charte des droits et libertés. 

 

Loi C-14

En réponse à l’arrêt Carter, des articles de loi en lien avec l’aide médicale à mourir sont modifiés dans le Code criminel et le projet de loi C-14 est adopté au Canada le 7 juin 2016, modifiant ainsi le Code criminel. Il est désormais possible, pour les gens atteints de maladie grave et incurable - dont la mort est raisonnablement prévisible -, d'obtenir l’aide d’un médecin pour mettre fin à leurs jours.

 

Jean Truchon et Nicole Gladu

 

11 septembre 2019

QUÉBEC - Jugement Truchon-Gladu 

Nicole Gladu et Jean Truchon sont deux personnes lourdement handicapées, mais ne sont pas en fin de vie. Nicole Gladu souffre du syndrome post-poliomyélite et Jean Truchon est atteint de triparalysie depuis sa naissance, à quoi se sont ajoutées de multiples pathologies après un accident en 2012. Le deux souffrent de douleurs qu’ils jugent intolérables et demandent l’aide médicale à mourir. Avec l’aide de leur avocat Jean-Pierre Ménard, ils contestent la loi fédérale qui stipule que seules les personnes dont la mort est « raisonnablement prévisible » peuvent avoir recours à l’aide médicale à mourir. Ils contestent également la loi du Québec qui ne permet qu’aux personnes « en fin de vie » d’obtenir l’aide médicale à mourir. Les deux contestations s’appuient sur la décision de la Cour suprême de février 2015 qui n’a jamais émis de telles restrictions. Madame la juge Christine Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, leur donne raison dans sa décision du 11 septembre 2019, déclarant que ces deux critères sont inconstitutionnels et que les gouvernements doivent appliquer les règles établies par la Cour suprême du Canada.

 

Le 12 mars 2020, le critère de fin de vie est abandonné au Québec. Ainsi, les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, qui éprouvent des souffrances ne pouvant pas être soulagées à leur satisfaction, peuvent obtenir l’aide médicale à mourir et ce, même si elles ne sont pas en fin de vie.

 

Voici désormais LES CRITÈRES POUR AVOIR ACCÈS À L’AIDE MÉDICALE À MOURIR

  • Être admissible à des soins de santé financés par l’État
  • Être majeur et être apte à prendre ses décisions
  • Avoir un problème de santé grave, irrémédiable et incurable
  • Les souffrances doivent être intolérables et ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées acceptables par le patient
  • Faire la demande volontairement sans pression extérieure
  • Avoir été informé des moyens disponibles autres pour soulager ses souffrances

 

 

Dépôt du projet de loi C-7 au fédéral

Le 5 octobre 2020, le projet de loi C-7, qui propose des modifications à la loi canadienne concernant le critère de mort raisonnablement prévisible, est déposé au fédéral. 

 

Adoption du projet de loi C-7

Le projet de loi est adopté le 17 mars 2021. Ainsi, des modifications à la loi canadienne de l’aide médicale à mourir entrent en vigueur, permettant aux personnes répondant aux critères de l’aide médicale à mourir et dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, d’obtenir l’aide médicale à mourir. Notons que la loi demande toujours que la personne fournisse un consentement éclairé pour s’assurer qu’elle ne subit pas de pressions ou d’influences externes.

 

Beaucoup de chemin a été parcouru dans la dernière décennie, et ce n’est pas terminé. En 2021, une Commission spéciale, qui a pour mandat « d’étudier les enjeux liés à l'élargissement de l'aide médicale à mourir de manière anticipée pour les personnes en situation d'inaptitude, tel que la maladie d’Alzheimer »[1], a entamé ses travaux. Un comité a également été mis sur pied pour étudier la possibilité d’offrir l’aide médicale à mourir aux mineurs matures et aux gens atteints de maladie mentale. Les conclusions de la Commission spéciale et du comité sont attendues dans les 12 à 24 mois.


Dernière mise à jour → 


Le 8 décembre dernier (2021), un rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la loi concernant les soins de fin de vie a été déposé à l’Assemblée nationale. 


Initiative transpartisane, la commission spéciale était composée de 11 membres élus de l’assemblée nationale, dont six députés du gouvernement et cinq députés des groupes d’opposition. 


La commission s’est divisée en deux phases : la première visait à entendre différents experts et la deuxième donnait la parole aux citoyens et aux organismes. La commission a également mené une consultation en ligne dont l’objectif était de connaître l’avis de la population. 


Trois grandes questions étaient au cœur de la commission : l’amm peut-elle être donnée aux personnes inaptes par l’entremise d’une demande anticipée? Les personnes dont le seul problème médical est un trouble mental devraient-elles avoir accès à l’amm? Si oui, sous quels critères?


 Plusieurs questions ont alimenté les réflexions des parlementaires, dont l’autodétermination des personnes atteintes de troubles neurocognitifs, le respect de la dignité, le meilleur accès aux soins de santé, la difficulté à prévoir l’évolution des troubles neurocognitifs, l’évaluation de la souffrance, les possibles dérives, etc.


Des recommandations ont été formulées suite aux travaux de la commission, dont celle que l'accès à l'aide médicale à mourir soit élargi aux demandes anticipées pour les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative comme l’Alzheimer. C’est maintenant au ministre de la santé Christian Dubé de décider s’il dépose un projet de loi suite à cette recommandation. 


La Commission ne recommande toutefois pas, pour le moment, l’élargissement de l’accès à l’amm pour les personnes dont le seul problème médical est un trouble mental, car comme l’explique le député libéral David Birnbaum, « Il n’existe pas un consensus parmi les professionnels de la santé quant à l’incurabilité des troubles mentaux, pas plus sur le caractère irréversible de ceux-ci. »

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Sources :

Au Québec :

Légis Québec : LOI CONCERNANT LES SOINS DE FIN DE VIE

Gouvernement du Québec – Aide médicale à mourir

Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité

Fédération médicale étudiante du Québec – L’évolution de l’aide médicale à mourir au Québec

 

Au Canada :

Santé Canada – services – aide médicale à mourir

Sénat du Canada – Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir à l’étude au Sénat

Gouvernement du Canada - Aide médicale à mourir

L’association du barreau canadien – Victoire pour l’aide médicale à mourir

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