J'ai eu la chance, dernièrement, d'écrire un texte pour Paraquad, la revue de MÉMO-Qc. Rappelons que MÉMO-Qc, est un organisme qui a pour mission de favoriser l’autonomie et d’améliorer la qualité de vie des personnes en situation de handicap physique, avec une attention particulière portée aux personnes qui ont une lésion à la moelle épinière. La parution hiver 2022 avait pour thème l'aide médicale à mourir, et on m'avait confié la tâche d'écrire sur l'histoire de la loi.
Pour ce faire, je me suis longuement renseignée, j'ai épluché de nombreux articles et textes de loi, et me suis entretenue avec le Dr Georges L’Espérance, président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, ainsi qu'avec Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en droit médical.
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Aide médicale à mourir : l’histoire de la loi
L’aide médicale à mourir a fait débat
jusqu’à l’adoption de la loi au Québec en juin 2014 – mise en vigueur en
décembre 2015 – et en 2016 dans le reste du Canada. Aujourd’hui encore, elle suscite
beaucoup de questions. Qu’on soit pour ou contre, le droit à l’aide médicale à
mourir fait son chemin dans notre société. Gros
plan sur les moments et les personnes qui ont marqué l’histoire de l’aide
médicale à mourir au Québec et au Canada.
« Si
je ne peux consentir à ma propre mort, qui contrôle mon corps? Qui contrôle ma
vie? » demandait Sue Rodriguez, cette femme atteinte d’une maladie
incurable à qui on a refusé l’aide médicale à mourir en 1993. La question a
beaucoup fait réfléchir dans les dernières décennies, si bien qu’il a fallu
légiférer. Non seulement l’aide médicale à mourir est-elle devenue légale, mais
les critères d'admissibilité se sont élargis et s’élargiront peut-être encore
dans les années à venir.
Une compétence
provinciale
Tout d’abord, il est
important de comprendre que la santé est un champ de compétence provincial.
Ainsi, chaque projet de loi est minutieusement étudié à l’intérieur de la
province, passé en commission parlementaire, soumis à des consultations, des
panels d’experts, des débats, des sondages, des votes, etc. Quand un projet de
loi de ce type est discuté, la province doit être certaine que la loi proposée
ne contrevient pas à des dispositions d’une loi fédérale, en particulier du
Code criminel, qui relève du fédéral exclusivement. Il est donc essentiel de s’assurer que les
décisions prises par les provinces ne contreviennent pas au Code criminel, ce
qui pourrait entraîner de graves conséquences pour les donneurs de soins.
Des personnes et des
dates marquantes
Sue Rodriguez
1993
CANADA – Refus de la Cour suprême
Sue Rodriguez, qui
souffre de sclérose latérale amyotrophique, souhaite obtenir l’aide d’un
médecin pour mettre fin à ses jours. Elle soutient que l’article du Code
criminel qui interdit le suicide assisté est anticonstitutionnel. Le 30
septembre 1993, cinq juges de la Cour suprême du Canada contre quatre déclarent
que l’article est constitutionnel et qu’il ne viole pas La Charte des
droits et libertés. L’aide médicale à mourir est donc refusée à Sue Rodriguez. Cette dernière se suicide néanmoins
avec l’aide d’un médecin dont on ne connaîtra jamais l’identité.
La quête de Sue
Rodriguez pour obtenir l’aide médicale à mourir n’a pas porté fruit pour la
demanderesse, mais il a semé des graines pour le futur dans l’opinion publique.
Vingt ans plus tard…
2013
QUÉBEC - Le projet de
loi 52 est déposé
Le projet de loi 52,
ou la loi sur les soins de fin de vie, est déposé par Véronique Hivon, ministre
responsable du dossier Mourir dans la dignité. Ce projet vise à
garantir aux personnes en fin de vie l’accès à des soins dignes et respectueux
de leurs volontés.
Le projet de loi 52
est adopté le 5 juin 2014, puis entre en vigueur le 10 décembre 2015.
Kay Carter
6 février 2015
CANADA - Arrêt
Carter
Kay Carter est
atteinte d’une maladie dégénérative de la colonne lombaire qui lui inflige des
souffrances qu’elle juge intolérables. Mme Carter réclame le droit d’obtenir
l’aide d’un médecin pour mettre fin à ses jours. Les demandeurs dans l’affaire
Carter contestent plusieurs articles du Code criminel qui interdisent d’avoir recours
à l’aide d’un médecin pour mourir. Les juges de la Cour suprême du Canada
déterminent, à l’unanimité, que l’interdiction de l'aide médicale à mourir,
pour les personnes qui souffrent de maladies graves, va à l’encontre de La
Charte des droits et libertés.
Loi C-14
En réponse à l’arrêt
Carter, des articles de loi en lien avec l’aide médicale à
mourir sont modifiés dans le Code criminel et le projet de loi C-14 est
adopté au Canada le 7 juin 2016, modifiant ainsi le Code criminel. Il
est désormais possible, pour les gens atteints de maladie grave et incurable
- dont la mort est raisonnablement prévisible -, d'obtenir l’aide d’un médecin
pour mettre fin à leurs jours.
Jean Truchon et
Nicole Gladu
11 septembre 2019
QUÉBEC - Jugement
Truchon-Gladu
Nicole Gladu et Jean
Truchon sont deux personnes lourdement handicapées, mais ne sont pas en fin de
vie. Nicole Gladu souffre du syndrome post-poliomyélite et Jean Truchon est
atteint de triparalysie depuis sa naissance, à quoi se sont ajoutées de
multiples pathologies après un accident en 2012. Le deux souffrent de douleurs
qu’ils jugent intolérables et demandent l’aide médicale à mourir. Avec l’aide
de leur avocat Jean-Pierre Ménard, ils contestent la loi fédérale qui stipule
que seules les personnes dont la mort est « raisonnablement prévisible »
peuvent avoir recours à l’aide médicale à mourir. Ils contestent également la
loi du Québec qui ne permet qu’aux personnes « en fin de vie »
d’obtenir l’aide médicale à mourir. Les deux contestations s’appuient sur la décision de la Cour suprême
de février 2015 qui n’a jamais émis de telles restrictions. Madame la juge
Christine Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, leur donne raison dans sa
décision du 11 septembre 2019, déclarant que ces deux critères sont
inconstitutionnels et que les gouvernements doivent appliquer les règles établies
par la Cour suprême du Canada.
Le 12 mars 2020,
le critère de fin de vie est abandonné au Québec. Ainsi, les personnes atteintes
d’une maladie grave et incurable, qui éprouvent des souffrances ne pouvant pas
être soulagées à leur satisfaction, peuvent obtenir l’aide médicale à mourir et
ce, même si elles ne sont pas en fin de vie.
Voici désormais LES CRITÈRES POUR AVOIR ACCÈS À
L’AIDE MÉDICALE À MOURIR
- Être admissible à des soins de santé financés par l’État
- Être majeur et être apte à prendre ses décisions
- Avoir un problème de santé grave, irrémédiable et incurable
- Les souffrances doivent être intolérables et ne peuvent être
apaisées dans des conditions jugées acceptables par le patient
- Faire la demande volontairement sans pression extérieure
- Avoir été informé des moyens disponibles autres pour soulager ses
souffrances
Dépôt du projet de
loi C-7 au fédéral
Le 5 octobre 2020, le projet de loi C-7, qui propose
des modifications à la loi canadienne concernant le critère de mort
raisonnablement prévisible, est déposé au fédéral.
Adoption du projet de
loi C-7
Le projet de loi est
adopté le 17 mars 2021. Ainsi, des modifications à la loi canadienne de
l’aide
médicale à mourir entrent en vigueur, permettant aux personnes répondant aux critères
de l’aide médicale à mourir et dont la mort n’est pas
raisonnablement prévisible, d’obtenir l’aide médicale à mourir. Notons que la
loi demande toujours que la personne fournisse un consentement éclairé pour
s’assurer qu’elle ne subit pas de pressions ou d’influences externes.
Beaucoup de chemin a été parcouru dans la dernière décennie, et ce n’est pas
terminé. En 2021, une Commission spéciale, qui a pour mandat « d’étudier les enjeux liés à l'élargissement de l'aide
médicale à mourir de manière anticipée pour les personnes en situation
d'inaptitude, tel que la maladie d’Alzheimer »[1], a entamé ses travaux. Un comité a également été mis sur pied pour étudier la possibilité
d’offrir l’aide médicale à mourir aux mineurs matures et aux gens
atteints de maladie mentale. Les conclusions de la Commission spéciale et du
comité sont attendues dans les 12 à 24 mois.
Dernière mise à jour →
Le 8 décembre dernier (2021), un rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la loi concernant les soins de fin de vie a été déposé à l’Assemblée nationale.
Initiative transpartisane, la commission spéciale était composée de 11 membres élus de l’assemblée nationale, dont six députés du gouvernement et cinq députés des groupes d’opposition.
La commission s’est divisée en deux phases : la première visait à entendre différents experts et la deuxième donnait la parole aux citoyens et aux organismes. La commission a également mené une consultation en ligne dont l’objectif était de connaître l’avis de la population.
Trois grandes questions étaient au cœur de la commission : l’amm peut-elle être donnée aux personnes inaptes par l’entremise d’une demande anticipée? Les personnes dont le seul problème médical est un trouble mental devraient-elles avoir accès à l’amm? Si oui, sous quels critères?
Plusieurs questions ont alimenté les réflexions des parlementaires, dont l’autodétermination des personnes atteintes de troubles neurocognitifs, le respect de la dignité, le meilleur accès aux soins de santé, la difficulté à prévoir l’évolution des troubles neurocognitifs, l’évaluation de la souffrance, les possibles dérives, etc.
Des recommandations ont été formulées suite aux travaux de la commission, dont celle que l'accès à l'aide médicale à mourir soit élargi aux demandes anticipées pour les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative comme l’Alzheimer. C’est maintenant au ministre de la santé Christian Dubé de décider s’il dépose un projet de loi suite à cette recommandation.
La Commission ne recommande toutefois pas, pour le moment, l’élargissement de l’accès à l’amm pour les personnes dont le seul problème médical est un trouble mental, car comme l’explique le député libéral David Birnbaum, « Il n’existe pas un consensus parmi les professionnels de la santé quant à l’incurabilité des troubles mentaux, pas plus sur le caractère irréversible de ceux-ci. »
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Sources :
Au
Québec :
Légis Québec : LOI CONCERNANT LES SOINS DE FIN DE
VIE
Gouvernement du Québec – Aide médicale à mourir
Association
québécoise pour le droit de mourir dans la dignité
Fédération
médicale étudiante du Québec – L’évolution de l’aide médicale à mourir au
Québec
Au
Canada :
Santé Canada – services – aide médicale à mourir
Sénat du Canada – Le projet de loi sur l’aide
médicale à mourir à l’étude au Sénat
Gouvernement du Canada - Aide médicale à mourir
L’association du barreau canadien – Victoire
pour l’aide médicale à mourir